Voici l'extrait d'un article sur le rock progressif (
http://www.bigbangmag.com/rdp69.php) qui présente admirablement ce qu'est Rush pour la musique prog :
"Rush, on l’aura noté, fait partie du panthéon de Q Magazine. Le lecteur français est toujours un peu surpris de l’importance qu’occupe le trio canadien aux yeux de la critique anglo-saxonne. Alors que le groupe n’a jamais réussi à s’imposer au même titre que Kansas ou Saga sur le Vieux Continent (comme l’a bien montré Jean-Guillaume Lanuque dans le dossier consacré par BB à la formation en avril 2007, n°65), Rush est une véritable institution en Angleterre et sur le continent américain (40 millions d’albums vendus en un tiers de siècle ; 15 000 exemplaires de Moving Pictures vendus en moyenne chaque mois depuis plus de 120 ans…), au Nord comme au Sud (le trio déchaîne les foules au Brésil – voir la video Rush in Rio quintuple platine de 2003).
On en voudra pour preuve le numéro du magazine briton Guitar Legends (fév. 2008) entièrement consacré aux Canadiens. A côté d’une compilation d’articles anciens parus dans Guitar World, Classic Rock et Bass Guitar (trois interviews de Geddy Lee et Alex Lifeson lors des sorties de Different Stages, Vapor Trails et Snakes & Arrows en 1999, 2002 et 2007 respectivement ; une interview-bilan – parfois douloureuse – d’un Neil Part faisant retour sur 30 ans de carrière, par-delà épreuves et heures de gloire, en 2004 ; une « dissection » de douze des plus grands morceaux de la carrière du trio par A. Lifeson en 1996 ; et une leçon de guitare basse par G. Lee en 2007), le dossier comprend une longue introduction historique inédite de J.D. Considine, un panorama des morceaux de l’histoire du rock favoris de Lee et Lifeson, et les transcriptions de 5 hits du groupe : «Limelight», «2112 (Overture/The Temples of Syrinx)», «Red Barchetta», «The Spirit of Radio» et «La Villa Strangiatto»).
Ce numéro spécial montre bien le statut de groupe-culte de Rush aux États-Unis et Outre-Manche, où il parvient à toucher un public bien plus large que les simples progmaniacs. Il faut dire que tant par les influences qu’il a subies à ses débuts, que par l’influence qu’il a pu exercer sur d’autres groupes, le trio occupe une place à part dans le monde progressif, en ce sens qu’il ne s’y est jamais laissé enfermer, sans jamais pour autant perdre son âme.
D’innombrables groupes d’aujourd’hui, de toutes obédiences (on ne parle même pas de Dream Theater et autres groupes prog), ont reconnu leur dette envers Rush, «de Metallica et des Smashing Pumpkins à Primus et Rage Against the Machine», les Canadiens ayant eu le mérite de «placer la barre très haut pour le rock mainstream, à la fois en termes de créativité et de technicité. Apprendre à jouer des morceaux de Rush était une manière pour les jeunes musiciens de prouver ce dont ils étaient capables».
Quant à la liste des artistes et des œuvres ayant «compté» dans les années de formation du duo de choc Lifeson-Lee, elle est très instructive. Le premier ne cite que trois groupes progressifs dans son panthéon personnel (Pink Floyd pour «Comfortably Numb» - qui «lui tire des larmes chaque fois qu’il l’entend», UK pour «In the Dead of the Night», le jeu d’Holdsworth ayant exercé une forte influence sur le sien circa Moving Pictures, et Tool), à côté de Buffalo Springfield, The Who («My Generation»), Jimi Hendrix, Jeff Beck, Eric Johnson, Led Zeppelin («How Many More Times», «Kashnmir») et les Rolling Stones. Quant à Lee, après avoir rappelé sa dette envers Jethro Tull (et le «très sous-estimé Martin Barre»), Genesis («Watcher of the Skies») et Yes (pour le jeu de basse, bien sûr, de Chris Squire, qui forme l’armature - le «squelette» - de toutes les chansons du groupe), il cite lui aussi Led Zeppelin (pour le même morceau, «How Many More Times»), Jeff Beck, les Who (également pour «My Generation»), les Yardbirds, Jefferson Airplane et Cream. Et quand il s’est agi de négocier le tournant pop des années 80, en resserrant le propos du groupe, pour le rendre plus accessible, et marier «l’épique et le concis, le cérébral et le viscéral», les Canadiens, de leur propre aveu, furent très influencé par Police et U2.
S’il a flirté de loin avec la new-wave (notamment en étendant leur palette sonore au moyen de synthés, samplers et séquenceurs – et de courtes incursions dans le reggae et… le rap sur «Roll the Bones»), Rush n’a toutefois jamais cédé aux sirènes du mainstream. Mais comment se fait-il qu’un groupe faisant rarement la couverture des magazines musicaux ait vendu autant de disques, et dure depuis si longtemps ? La subtilité et la complexité de ses morceaux et de ses arrangements ont constitué «une pierre angulaire pour une génération de musiciens», faisait remarquer Guitar World en 2002, et pourtant, Rush n’a jamais reçu le soutien de l’establishment de la critique. «Un peu comme si les gens ne voulaient pas donner à Rush son dû». G. Lee reconnaît que Rush ne s’est jamais fondu dans le courant mainstream : «Nous pouvions être le groupe-culte le plus populaire du monde, comme Black Sabbath dans ma jeunesse, mais personne ne nous entendait jamais dans un supermarché. Ou alors, cela aurait été un supermarché vraiment bizarre».
Une partie de la réponse tient dans l’étiquette de «rock cérébral» qui lui colle à la peau depuis ses fresques de science-fiction des années 70, lesquelles avaient fini par les ennuyer : «Bien que nous n’ayons aucun problème avec le style de vie du rock and roll», explique Lifeson, «l’essentiel pour Rush a toujours été la qualité de l’écriture musicale. Si cela nous rend ‘cérébraux’, eh bien pourquoi pas. Il est certain qu’à mesure que Neil s’est imposé comme notre parolier, notre musique est devenue plus poignante. En tous cas, une chose est sûre à propos de Rush, c’est que nous nous sommes toujours bien amusés, même si nous n’en avons pas l’air»."