C’est peu dire que Madi m’a traîné voir Trust à Carpentras ce week-end ! J’ai refusé, j’ai freiné, j’ai grogné, rien n’y a fait. Y a Trust à Carpentras, on va voir Trust ! J’en ai marre de voir Trust, j’en ai marre d’entendre Bernie pérorer, mais Madi voue un culte secret à Nono et Nono prend des nouvelles de Yoda, donc on va voir Trust. Je ne pouvais même pas invoquer le prix des billets, sept malheureux euros !
C’est donc dans un enthousiasme délirant que j’ai passé le sas d’entrée des Guinguettes de l’Auzon, petit festival ma foi sympathique où nous avions vu Popa Chubby l’an dernier. Devant les portes poireautent une cinquantaine de personnes. Des "sans-billets", qui attendent les "sorties-définitives" pour pouvoir entrer à leur tour, preuve que Bernie et compagnie jouent ce soir à guichets fermés, soit deux mille cinq cents personnes tout de même.
Le parcours jusqu’à la table de mixage est facile, au rythme des percussions des Fan de Boucan, premier sourire. On retrouve les copains, Thierry-le-Peintre et Carole, pour ceux qui connaissent, incontournables partenaires de nos concerts vauclusiens, deuxième sourire. 22h00, les lumières s’éteignent. Trust est à l’heure, troisième sourire. Dans soixante-quinze minutes, je serai dans la MadiMobile, direction la maison et je pourrai mater tranquille un épisode de Wheeler Dealers.
Le père Diop attaque le riff de « Ni Dieu, ni maître », Bernie enchaîne, Nono, Jacob, Dupuy défoncent tout. "Debout les libertaires !", je gueule avec Bernie, pensée pour mon anar préféré revenu des Caraïbes et c’est parti. Pied total ! Ouaiiiiis ! Bernie quoi, qui te soulève une foule en un quart de seconde ! Et qui me soulève moi. Oui, moi qui ne voulais pas venir ! J’adore ! Le son est parfait, on a de la place, il fait bon, c’est génial. J’ai bien fait d’insister pour venir, hein Madi ! Madi se moque de ma mauvaise foi, Madi s’agite dans tous les sens, normal, Thierry-le-Peintre mime tous les accords de Nono avec ses mains tout en assurant la basse avec les pieds et la batterie avec la tête, normal, Carole s’éclate, la soirée est belle.
Évidemment, comme toujours avec Trust, le couac ne tarde pas à arriver. Cette fois, ce sont les choristes. Non pas dans leur rôle de choristes – elles y excellent –, mais dans leur rôle de danseuses. Mais pourquoi nous inflige-t-on cela ? Trust s’est cassé la gueule avec ses saxophones, ses pianos, ses DJ, et on doit maintenant supporter des danseuses ! On se croirait devant Mötley Crüe dans ce qu’ils ont de pire. Heureusement, elles ne font les folles que sur certains morceaux… Avant que le groupe ne reprenne sa configuration normale, de groupe de rock, quoi !
La set-list est ultra majoritairement composée des titres de l’excellent « Dans le même sang ». Hormis « Comme un damné » et bien sûr « Antisocial » à la fin, le groupe a choisi la carte du récent et du moderne, y compris pour le rappel, et c’est très bien ainsi. Parfait même.
Mais un qui n’est ni récent, ni moderne, c’est bien Bernard, son bob, son pantalon Adidas, ses pseudos improvisations qui rallongent les titres pour rrrrrien et font retomber la pression, ses admonestations et ses conseils, ses « on va parler des sujets qui fâchent » (c’est sûr, il arrive même à se fâcher avec ses choristes, grand moment avant-hier !), ses « vous êtes beaux ce soir », ses « this is a song ’bout a dirty woman » (non, c’est pas lui mais ça pourrait), ses outrances, tous ces intermèdes mille fois entendus.
Nouveauté cependant ce soir : après avoir reçu la vaste approbation du public des années quatre-vingts, puis s’être fait siffler et engueuler dans nos contrées il y a deux ans, le professeur Bernie n’intéresse plus personne. Ses remarques tombent à plat, deux poings levés l’approuvent mollement, deux petits sifflets de rien du tout le contestent, deux instits retraitées, sèches et bigleuses, s'extasient sur ses propos pro-migrants, deux bikers patentés, gras et vindicatifs, râlent sur les mêmes paroles… Bernie radote, Bernie rabâche, Bernie divague, tombe en pâmoison devant le Che, voue le président aux gémonies, appelle l’un le Christ, nomme l’autre l’Exterminateur, c’est n’importe quoi, mais Bernie chante. Chante ! Putain chante Bernie ! C’est là où tu es le meilleur, l’inégalé, le maître ! Arrête de nous les briser et chante ! C’est ton destin de chanter et le nôtre de t’écouter, c’est ta mission de hurler tes paroles et la nôtre de les reprendre en cœur, même si on ne les partage pas.
C’est ça son génie à Bernie, de nous faire entrer dans son monde par ses mélodies et ses textes scandés comme lui seul sait le faire sur les riffs de son compère. Mais qui arrivera un jour à lui faire comprendre cette apparente contradiction : "Ta gueule et chante !"
Et à la prochaine…