Allez, à la demande générale d’une foule en délire, voici la suite :
A nous les petites salles de concert anglaises, IIème partieJ’en étais à mon trajet pour Birmingham et quelques questions qui me taraudaient sur la personne que j’allais rencontrer pour la première fois là-bas.
Je descends du bus et je tombe donc sur John (et sa casquette). Bon, il est effectivement assez costaud, mais il n’a pas l’air méchant. Il est même assez fort débonnaire, flanqué de son gamin de 12 ans excité comme une puce à l'idée de voir les boys pour la première fois. John est pour sa part un vieux grognard, avec déjà 19 concerts au compteur, dont 2 avec Bon Scott. On se dirige chez lui,
une de ces maisons en brique typique des quartiers ouvriers anglais, très étroite, à proximité directe des voisins. Au moment où il passe la porte, il fait volte face vers moi, s’arrête et me regarde droit dans les yeux. L'espace d'un 10ème de seconde, je me dis que mes potes avaient peut-être raison et que j'aurais dû opter pour l'auberge de jeunesse. Et là, il me pose LA question :
"Dis-moi, t'aimes la bière ?
- Euh... ouais !
- Ca tombe bien, j'ai mis un pack au frais, je vais le chercher."
Il sort donc un pack de 12 Carling de 50 cc et m'en tend une après avoir ouvert la sienne. Cette journée est décidément plutôt cool.
"Tu fumes ?
- Un peu.
- Tu veux une clope ?
- Ben t'inquiète pas, j'ai les miennes.
- Nan, t'embête pas, j'ai des paquets en trop. Sers toi, ça me fait plaisir."
On se pose donc dans son salon, à fumer et à boire des bières. Enfin surtout lui. Avant d'allumer la chaîne hifi, il m'explique qu'il ne peut pas mettre trop fort, parce que les voisins (dont la maison est collée au salon) enterrent le grand-père ce même jour. Je compatis, je lui dit que je comprends tout à fait, et m'attends à entendre un petit Ride On tranquilou en bruit de fond. En fait, John pousse le volume à 11 et se met à brailler "THUN-DER !!!" à l'unisson ! Grand moment !
On est au milieu de l'aprèm, on papote, je n'ai rien mangé depuis le matin et la journée va être encore longue. Avec mes deux bières en guise de goûter, je commence à tourner de l’œil. Timidement, je lui dis :
"John, je veux pas abuser, mais je suis à jeun. Tu aurais deux ou trois chips, ou n'importe quoi, histoire de me caler ?
- T'inquiète." Il appelle son fils aîné : "John Junior ! Prends 10 livres et va chercher des sausage rolls à l'épicerie du coin !
- Euh, nan mais t'embête pas, si t'as juste un bout de pain ou deux BN, c'est parfait !
- Mais non, t'en fais pas, ça lui fait plaisir !"
Voilà donc le fils parti faire les courses et qui revient avec assez de saucisses briochées pour nourrir un régiment. Je me requinque, on écluse encore quelques bières avec la musique à fond. Arrive le moment de partir (avec sa femme en guise de chauffeur, donc, qui ne viendra pas au concert parce qu’elle préfère la période Bon Scott. On peut en discuter, mais au moins l’argument est plus percutant que celui de nos moitiés qui nous disent d’aller seuls écouter notre musique de sauvage). Arrivé sur place, John me dit qu'il a rendez-vous au bar du NEC avec quelques gars du forum, qu’il ne connaît pas, et me propose de venir. Je lui dis que ça me ferait très plaisir, mais qu'il faudrait que je me mette bientôt en fosse si je veux avoir une place correcte. Il me dit de ne pas m'inquiéter, qu'il gère, et que de toute façon je ne suis pas intéressé par la première partie, non ? A cette dernière question, il pourrait y avoir matière à débat, mais je lui dis que oui, effectivement, ça peut être sympa de se poser au bar. Je ne verrai donc jamais les Backyard Babies, mais bon, je n'en mourrai pas.
Au lieu de ça, on va au bar où on fait la rencontre de deux autres gars et une nana, dont j'ai effectivement lu quelque proses sur le forum. On papote (enfin surtout eux, moi je ne comprends pas grand chose), on rigole et on boit encore (et on fume, puisqu'à l'époque on pouvait encore le faire à l’intérieur). Après le concert, John me confiera qu'il a trouvé HotChickFromCumberland (ou quelque soit son pseudo) "très classe et très sexy". Je n'en dirais pas tant s'agissant d'une nana fringuée à mi-chemin entre
Nina Hagen et
Courtney Love, mais après tout chacun ses goûts. Juste avant d'entrer dans la salle, je fais un tour au petit coin où j'apprends une importante leçon de vie : ON NE TOUCHE PAS AU LAVABO dans une salle de spectacle où il y a 2 toilettes pour 20.000 personnes. Urinoir ou lavabo, c’est kif-kif pour un hardos anglais…
Sur ces entrefaites, je me rends avec John au contrôle des billets, où le vigile est effectivement un de ses potes. Il lui explique la situation, que je voudrais être en fosse, si possible bien placé, etc. On se donne rendez-vous pour la fin du concert, je suis les indications de John et, je ne sais par quel miracle, je me retrouve contre la barrière alors que la première partie est en train de finir. Certes en latéral et pas tout tout devant, mais contre la barrière quand même, ce qui n'a pas de prix quand on a ma taille, et surtout vu l’heure à laquelle j’arrive.
Le concert commence et c'est finalement anecdotique dans mon récit. La prestation était excellente, avec en particulier un Let There Be Rock chanté à l'unisson par le public, un Whole Lotta Rosie de folie et un For Those d’une intensité surréelle. J'ai bien sûr été chamboulé, j'ai pris mon pied, les boys étaient super affutés, mais vous avez déjà lu des centaines de récits de ce type, et me dispenserez de plus rentrer dans le détail.
Je rejoins donc John à la sortie (en ramant un peu, puisque je n'ai pas de portable). On retrouve sa femme, à qui "ça fait plaisir" de nous ramener. On se grignote quelques ailes de poulet frites en débriefant nos impressions sur le concert et en souriant en voyant les pépites dans les yeux de son fils, qui a trouvé toute la prestation "wicked" (chanmé). Je m'apprête à me poser dans le canapé du salon, quand John me dit :
"Ben attends, tu vas pas dormir dans le salon, on va te trouver un lit.
- C'est super sympa, mais c'est pas la peine, je serai bien dans le canap'.
- Tu parles ! Prends la chambre de John Junior, lui dormira avec son petit frère, ça lui fera plaisir !"
Je vois dans les yeux de John Junior que ça ne lui fait pas si plaisir que ça, mais bon, si c'est proposé si gentiment !
C'est donc parfaitement reposé que je me lève le lendemain, alors que je m’attendais à squatter un banc glacial d’une gare de banlieue. Je prends congé de toute la famille de John, laquelle me souhaite bon voyage dans un grand sourire. Rentré au bercail, mes amis sont rassurés de voir que je suis en un seul morceau. Et à voir la banane que j'ai, ils n'ont pas besoin de me demander si la journée a été bonne !
J'ai échangé encore quelques temps avec John. Toujours aussi généreux, il m'a fait des copies de boots qui à l'époque étaient encore un peu ardus à trouver : le old Waldorff, VH1... J’ai encore les K7 chez moi, que je garde affectueusement même si je n’ai plus de quoi les lire et que depuis, je les ai en CD ou en MP3. Quelques mois plus tard, j'ai pu lui rendre la pareille, en lui dégottant l'excellent "6 Guns For Brum", le boot de NOTRE concert, un des meilleurs sons que j'ai jamais eu pour un enregistrement audience.
Par la suite, nous nous sommes perdus de vue et il y a déjà plusieurs années que je n'ai plus de nouvelles de John. Mais je garde toujours le souvenir de cette grande journée, de son humour et de sa générosité. Aurai-je vécu une si belle aventure si je m'étais posé plus de questions et si j'avais organisé des mois à l’avance ma journée dans les midlands, avec nuit à l’hôtel et plan du métro tatoué dans le dos ? J'en doute !
Here’s to you John !