Ballbreaker


Si l'angle amorcé par AC/DC à l'évocation  d'un virage musical n'avait jamais vraiment dépassé les quelques degrés, celui  accompagnant Ballbreaker pour le coup se rapprocherait un peu plus de l'angle  obtus. Petit retour en arrière. 
    
  
L'histoire de Ballbreaker commence véritablement en 1986  quand Rick Rubin, producteur américain au succès grandissant réalise un grand  coup commercial en produisant le planétaire Walk this Way, collaboration osée  entre Aerosmith et Run DMC. A priori, aucun rapport, si ce n'est que surfant  sur la vague, Rick contacte AC/DC quelques semaines plus tard, leur demandant  l'autorisation d'utiliser le riff de Back in Black, pour un projet similaire  avec les Beastie Boys. Lucidité rock'n'rollesque ou sacro-sainte atteinte à une  oeuvre marquée du sceau du respect (car on ne peut pas vraiment dire que nos  Boys soient dans une phase artistique exceptionnelle...), le groupe refuse.  Pour la petite histoire, une copie "underground" du projet abandonné  existe sur un LP US (http://youtube.com/watch?v=jjOT7_VR9W4). 
  Tel est donc le premier contact entre Rick, fan de la  première heure et un de ses groupes préférés.. Mais gonflé par le succès de  plusieurs collaborations (System Of A Down, Slayer, The Cult, Red Hot Chili  Peppers ou encore Mick Jagger) Rick re-propose ses services en 1993, et AC/DC,  remis d'une tournée The Razor's Edge éprouvante, accepte de participer à la BO  de Last Action Hero. Big Gun sera donc produit par Rick Rubin (la version  7" verra comme B-side la version live de... Back In Black de Moscou 91).  La collaboration est une réussite et le titre s'inscrit, sans rupture, dans la  continuité de The Razor's Edge. 
  Mais la vraie raison du virage Ballbreaker remonte à  quelques années plus tôt. 16 Novembre 1991, Auckland, Nouvelle Zélande: Phil  Rudd, retraité forcé de sa fonction d'utilité publique, lâche volants et autres  manettes un petit instant, à l'occasion de la dernière date de la tournée The  Razor's Edge. Il rejoint le groupe backstage et entre-ouvre une porte. Entre  Malcolm et lui, il y a désormais prescription, le grand frère en prend note et  quand courant 1995, Angus & Malcolm décident de se remettre au travail, la  décision est vite prise, Chris est remercié, et Phil signe son retour. Il fut  souvent dit que Chris a participé aux premières sessions de Ballbreaker,  information démentie par Mike Fraser lors de son interview pour H2ACDC .

Phil, Malcolm et Bon ont toujours été les  belliqueux du groupe à l'opposé de Brian, Angus et Cliff. Mais si les relations  entre Phil et Malcolm ont parfois été tumultueuses (souffrances pyschologiques  de Phil après la mort de Bon peu aidées par les joints et penchant prononcé de  Malcolm pour l'alcool dans les années 80 etc..) leur complicité musicale ne  souffre d'aucune comparaison possible (en témoigne la discographie d'AC/DC  entre 85 et 90..) et on ne compte plus les interviews de personnes proches du  groupe réduisant le débat à: AC/DC? C’est Phil. 
    
  Le retour de Phil derrière le kit, c'est un peu comme la  sauce dans un plat divin, on l'honore comme il se doit, au mépris des règles de  bienséance. Lucides, et de la même façon qu'Angus voulait Let There Be rock  "full of guitars", Malcolm et le groupe veut rendre à leur nouvel  album ses fragrances pre-80s et çela passe par une belle batterie. Ce ne sont  donc pas les dépenses de six semaines de location des Power Station Studios à  New-York et leurs sessions de rafistolage en tous genres (positionnement de  tapis sur les murs, de tissus en forme de tente au dessus de la batterie) qui  vont faire obstacle aux souhaits des frères Young. L'intégralité des pistes  enregistrées sont jetées, le son donne un rendu trop "live". Le  groupe se rend alors à Los Angeles et prennent leur quartiers aux Ocean Way  Studios - Studio B. Cliff se souvient que s'ils avaient perdu 6 semaines, au  moins, ils maîtrisaient les chansons, et avoue avoir été perturbé par la  manière de travailler de Rick Rubin. Cinquante fois la même chanson jouée et  rejouée n'est pas vraiment la manière de travailler d'AC/DC. Quartiers pris aux  Ocean Way Studios, le groupe prend plus d'initiatives et Angus, Malcolm et  Cliff enregistrent en live dans la même pièce entre quelques tremblements de  terre intempestifs. Parallèlement à celà, Rick est de plus en plus aux abonnés  absents. Malcolm déclara dans une interview, que Rick venait de temps en temps,  chaussait ses lunettes de soleil puis se mettait en position de yoga pendant  des heures. Contrairement à la rumeur cependant, Rick n'a jamais été viré, par  contre Mike Fraser, originellement ingénieur son, s'est peu à peu mué en  producteur de substitution, assez pour que Malcolm & Angus le crédite du  statut de co-producteur sur l'album. Plus tard, les frangins n'ont jamais  vraiment critiqué ouvertement l'attitude de Rick Rubin ni son travail mais ont  préféré souligner quelques divergences dans les méthodes.. Dans le clip d'Hard  as a Rock, il semblerait cependant que les boys aient glissé une petite pique  au producteur. La plaquette sur le bureau dans lequel Angus entre par la  fenêtre, assis sur la boule indique Dick.. Robbins.. anagramme presque parfait  de qui nous savons. 
 
  
 Et l'album dans tout ça? La pochette est dans le pur  style AC/DC, mettant Angus en première ligne. La photo date de 1982,  probablement à quelques jours de la fin de la collaboration scénique entre AC/DC  et Phil.. Le titre est un classique jeu de mot bien lourdeau, mais qui sonne  bien et qui ouvre une vaste palette de scenari pour les clips (une boule c'est  toujours mieux qu'une mouche..). Chose inhabituelle, les... mots.. enfin les  paroles quoi.. sont mentionnées dans le livret intérieur. Le sexe, et pas dans  la dentelle, est omniprésent mais on retrouve également pas mal de titres  proposant leurs propres atmosphères. D'ailleurs, on se demanderait presque si  les titres ont été écrits avant ou après que les Studios Marvel (une référence,  auteurs de légendaires pochettes d'albums) se soient vus chargés des  illustrations du livret intérieur, une première. L'album s'ouvre presque  bizarrement sur Hard as a Rock. Outre Hell's Bells, hors catégorie, et les premières  secondes de For Those About to Rock, jamais ou presque un album d'AC/DC ne  s'était lancé aussi mollement. L'avantage, c'est qu'HAAR pose les bases d'une  production intimiste, avec une base Rythmique Malcolm-Cliff qu'on avait plus  entendu aussi limpide depuis des lustres. On comprend très vite que le groupe a  mis un point d'honneur à célébrer le retour de Phil.. ou bien.. la magie  s'est-elle automatiquement opérée? Boogie Man est le titre marquant de la  première moitié de l'album. Celà faisait presque vingt ans qu'AC/DC n'avait pas  donné de véritable héritier à The Jack. Le groupe y est superbe, et le titre  sera tout naturellement parachuté comme teaser d'Angus pour son strip-tease  dans la setlist de la tournée à venir. Angus, qui émerge vraiment sur Boogie  Man est paradoxalement le plus en retrait sur l'album. Ses soli sont  majoritairement peu inspirés et l'omniprésence de Malcolm, Phil et Brian le  relègue presque au second plan. Burnin' Alive, Hail Caesar et Caught with your  pants Down contribuent au plébiscite des media spécialisés, saluant le côté  salvateur et irréductible de ce grassouillet Ballbreaker dans une période  musicale particulièrement pauvre et surfaite. Il règne comme une ambiance  familiale autour de la sortie de Ballbreaker et AC/DC invite ses fans aux Bray  Studios de Windsor en Angleterre pour le tournage du clip d'Hard as A rock  (Cover you in oil & Hail Caesar feront également l'objet d'un clip). Un  accueil particulièrement chaleureux y est réservé à Phil. En promo à Paris,  Angus & Brian joueront quelques titres en live sur FunRadio où de nombreux  fans se sont massés devant les studios. Plus qu'un album, Ballbreaker marque le  commencement d'une nouvelle ère, une période où le groupe, retrouvé, s'offre le  plaisir de ré-ouvrir un catalogue verrouillé par le départ de Phil. Ainsi,  pendant presque une heure, AC/DC offre à ses fans une session live en studio  diffusé sur la chaine VH-1 et offrant une setlist quasi sur-réaliste encore à  ce jour: Riff Raff, Go Down, Gone Shooting & co. Le retour de Phil se fait  également sentir sur scène, particulièrement dans la setlist ou seule  Thunderstruck survivra à l'ère 1983-1990 (Who made Who sera jouée le premier  soir à Greensboro, puis abandonnée). La Setlist va piocher dans Highway to  Hell, avec les retours de Shot Down in Flames & de Girls Got Rhythm. Ballbreaker est également bien réprésenté: Cover you  In Oil, Boogie Man, Hard as a Rock, Ballbreaker, Hail Caesar. La  tournée 1996 est une des plus belles, le groupe se régale comme en témoigne  cette citation de Cliff "la chanson que j'ai préféré jouer sur cette  tournée? Down Payment Blues, j'ai quatre notes à jouer dessus mais quel pied je  prends !" Pour la première fois de sa carrière, AC/DC fait escale en  Argentine, pour deux dates à Buenos Aires, au Chili pour un soir à Santiago, au  Mexique pour deux soirs à Mexico et retourne au Brésil pour deux dates, onze  ans après ses prestations à Rio. 
  
  Ballbreaker sort le 22 septembre 1995. 2 millions de  copies environ ont été vendues à ce jour aux USA et à sa sortie, l'album se  classa 4ème (le single Hard as a Rock sera classé 1er). 300 000 copies environ  ont été vendues en France. La tournée de 1996 fera l'objet d'un DVD: No bull,  filmé à Madrid et réalisé par David Mallet. 
  A sa sortie, Ballbreaker representait surtout le retour  de Phil mais c'est avec du recul qu'on se rend vraiment compte à quel point cet  album constitue une rupture par rapport à The Razor's Edge et la période 83-93.  C'est l'album qui a conditionné, et conditionnera la fin de carrière d'AC/DC:  un véritable retour aux sources. 
