Je ne sais plus trop comment je l’avais appris, sans doute par l’intermédiaire
d’un magazine musical, mais toujours est-il que l’information était
bien inscrite dans ma mémoire : AC/DC passait à Paris au
mois de Septembre 1984 ! Le plus dur restait à venir, car à
peine âgé de 14 ans, je me doutais que mes parents me laisseraient
nullement aller seul à un tel concert, qui plus est, à Paris.
J’avais donc préparé mon plan d’attaque en cogitant
l’approche que j’allais en proposer à mon père. Là
encore, ce n’était pas gagné, puisque même si celui-ci
était fan des Boyz depuis 1976, la récente parution de l’album
Flick of the Switch l’avait sensiblement écarté de la AC/DC
Army ! « Encore un comme ça » se plaisait-il
à répéter « et on les fera jouer dans les maisons
de retraites ! » Bref, toujours est-il que mon père était
là, dans la salle de séjour à remplir des papiers, je me
suis planté devant lui et lui ai dit « Tu te souviens, un
jour, tu m’as dit que lorsque AC/DC passerait en France, on irait les
voir ! Eh bien, ils sont à Paris au mois de Septembre !
En plus, c’est un samedi, y’aura pas de problème pour l’école »
Là, il m’a répondu « Mais tu vois pas que je
suis occupé ! On verra ça plus tard ! »
Moi, de renchérir, « Oui, mais c’est bientôt,
et pour les places, va falloir se dépêcher ! »
Et lui de conclure sur un ton qui signifiait « Si tu veux une chance
d’aller les voir, fous-moi la paix ! » ajoutait « On
verra ça plus tard » ! Le problème, c’est
que le plus tard était bien limité, puisque le groupe se produisait
à Bercy dans moins de deux semaines. Bref, je me suis résigné
à l’idée que mon baptême du feu ne serait pas pour
cette fois ! (1)
Au bahut, un type de ma classe, avec qui je discutais souvent d’AC/DC, était fier de me dire qu’il irait à ce concert avec son frère ! Il n’est pas dans ma nature d’envier les gens, mais là, j’avoue que l’idée d’aller à la DASS et de demander à me faire adopter par sa famille m’a traversé l’esprit ! J’avais beau essayé d’oublier cet événement, il y a avait toujours un paramètre qui me ramenait inexorablement à ce concert, et ce, que ce soit par des pubs dans des magazines ou à la radio ! De plus, de jour en jour, l’excitation du type de ma classe devenait palpable. Le summum a eu lieu le vendredi soir, juste à la sortie des cours, le type n’en pouvait plus, et moi, d’une certaine façon, je n’en pouvais plus non plus. Juste avant de nous quitter, il m’a lâché « T’inquiète, je te raconterai et je te ramènerai un autographe d’Angus ! » Je lui ai dit merci, mais avec une sorte de lame de rasoir qui me cisaillait la gorge !
Le samedi, aux alentours de midi, je me pointe dans la cuisine pour manger, mes parents étaient là, à table, parlant de choses diverses. Je m’assois à ma place et tout en continuant à discuter avec ma mère, mon père me tend une enveloppe que je saisis. Sur le coup, j’ai cru à une mauvaise blague ou tout du moins, je ne croyais pas du tout à ce que je tenais entre les mains ! Trois sésames magiques pour le concert de Bercy du soir même ! Le troisième billet étant pour mon oncle qui serait du voyage. Sans rien me dire, mon père, par une de ses relations parisiennes, avait obtenu ces fameux tickets (2). Inutile de vous dire que j’ai eu un mal fou à finir mon assiette.
Nous sommes partis vers 13h45 et mon père avait demandé à mon oncle de prendre les albums For those about to rock et Flick of the Switch afin de les écouter durant le voyage, et ainsi, de pouvoir se familiariser avec les derniers morceaux des Boyz ! Durant le trajet, je me livrais à toutes sortes de suppositions sur la set-list. Je n’avais surtout qu’une envie, c’était de voir Landslide interprété en live. Nous sommes arrivés devant les portes du Palais Omnisport de Bercy vers 17h30, et déjà, une chose m’interpellait. Interpellation qui fût confirmée par mon oncle qui avait déjà assisté aux shows du Bourget en 1980 et 1982. En effet, je m’attendais à une foule beaucoup plus dense. Hors là, sans que ce soit le désert total, on ne peut pas dire que la venue d’AC/DC avait déplacé une audience considérable. Et mon père d’ajouter « Quand je te disais que c’est le début de la fin ! » Bref, toujours est-il que nous sommes entrés dans l’antre de Bercy sans vraiment être affolés par des mouvements de foules. Je me souviens, mon père m’avait prévenu : « On reste dans le fond de la salle ! ». Sauf que là, effectivement nous sommes restés dans le fond de la salle, mais la foule étant minime pour un concert d’AC/DC, le fond de cette salle se situait à un peu près la moitié de celle-ci. Une chose m’avait également surpris : la mentalité du public, sifflant, hurlant, insultant et autres attitudes des plus négatives. J’admets que ce type de manifestations sonores est logique dans un concert de Rock, mais là, il y avait un élément en plus qui me disait (et pas qu’à moi d’ailleurs) que les choses allaient avoir une dimension étrange.
Je ne me souviens plus très bien du groupe de première partie. Par contre, j’ai pas mal de souvenirs de types discutant entre eux et ne s’intéressant pas du tout à ce qui se passait sur la scène. Pour un dépucelage en matière de show d’AC/DC, je trouvais l’ambiance étrange, voire, malsaine et de ces cris hurlant « On veut Mötley-Crûe ! »(3), j’en garde un drôle de souvenirs !
En fait, il faut se mettre dans la peau d’un ado d’à peine 14 ans.... assistant pour la première fois de sa vie, non pas à un concert, mais surtout à son tout premier concert du groupe qui animait une majeure partie de sa culture musicale. Je ne demandais pas à ce que l’on déroule un tapis rouge pour la venue des Boyz, mais je ne m’attendais vraiment pas à un accueil assez froid. En effet, entre le moment où nous sommes rentrés dans Bercy et le moment où AC/DC est arrivé sur scène, je dois dire que l’ambiance régnant dans la salle était assez étrange, bizarre... et puis les lumières se sont éteintes.... des clameurs ont surgi ici et là dans la salle, comme de petites étincelles amorçant un réchauffement du public qui en avait bien besoin. Progressivement, la foule s’est mise à hurler, à siffler, à s’animer par des « Angus » venant continuer ce réchauffement climaticorock’n’rollien !
Une lumière dirigée vers une silhouette frêle s’est alors dessinée et Angus est apparu dans un coin de la scène. Angus était là ! Amorçant l’intro de Guns for Hire, la modifiant légèrement par de petites improvisations qui je l’avoue m’ont bien séduit ! Et la machine s’est emballée pour délivrer le tube du dernier opus des Boyz. Là, sans que l’on puisse réellement d’une foule en délire, les têtes ont commencé à remuer, des bras ont commencé à se lever et, surprise, mon père battait la mesure du pied ! Comme quoi, rien n’était perdu !
Guns for Hire expédié, Brian nous annonce la venue de Shoot to Thrill ! Ce qui aura pour effet de donner une animation supplémentaire à la foule ! Comme quoi, le succès de Back in Black est toujours d’actualité ! C’est là que mon oncle a lâché à mon père que Brian s’en sortait mieux que lors du concert du Bourget de la dernière tournée. Il est vrai que Brian me paraissait globalement énervé ce soir là, tentant peut-être de convaincre une foule proche de la lobotomisation. En ce qui me concerne, j’en prenais plein la gueule ! Je ne perdais pas une miette de ce qui se passait à quelques mètres de moi ! Ils étaient là en chair et en os ! Ils jouaient pour du « vrai » ! Et lorsque Sin City a succédé à Shoot to Thrill, j’ai eu une sensation étrange... celle d’entendre quelque chose, là, dans l’instant présent, qui avait appartenu à Bon Scott ! Qui plus est, cette sensation a rencontré une sensation supplémentaire lors du break de ce morceau, lorsque la foule s’est mise à taper dans ses mains pour souligner davantage les notes de basse de Cliff Williams. J’étais abasourdi, au point d’avoir la tête qui tournait. Le but du jeu était de ne rien laisser paraître, au risque de voir mon père me sortir de la salle, et donc, de mettre une fin prématurée au concert.
Ce qu’il y avait de marrant, c’est que à chaque présentation de morceau par Brian, la foule gagnait en intensité et en animation. Back in Black n’a jamais été un morceau de choix en ce qui me concerne, et son interprétation scénique n’a rien changé à mon appréhension de ce titre. Par contre, comme spécifié auparavant, ça a eu un effet conséquent sur le public, du moins, dans les premiers rangs, car ceux du fond semblaient bien sages. A côté de nous, il y avait deux types d’une vingtaine d’années et j’ai clairement entendu l’un d’eux dire à son pote un truc du genre « Il en chie toujours autant sur ce morceau ! » Il est vrai que Brian ne me semblait pas à la fête sur ce titre, notamment sur les Baaaaackkk ! Avec le recul, je me dis que Rock&Roll ain’t a noise pollution a été l’erreur de la set-list pour ce concert. En effet, une sorte de ramollissement du public a pris place, et ce qui avait pris pas mal d’énergie à être construit, à savoir une foule bon enfant et joyeuse, s’émiettait au fur et à mesure. Qui plus est, Brian était encore plus à la peine que sur le morceau précédent.
Bad Boy Boogie a tant bien que mal essayé de rattraper ce (et ceux) qui fuyai(en)t, mais de toutes évidences, il était trop tard, le bateau commençait à sombrerdéfinitivement et inexorablement dans une abyme inéluctable. Certes, durant l’intro de Bad Boy Boogie, le public a répondu aux break de guitare d’Angus, mais j’ai cette sensation étrange que c’était plus par habitude que pour réellement entrer dans le jeu de l’échange. D’ailleurs, Angus ne s’y est pas trompé, puisque écourtant cet échange. Certes, Bad Boy Boogie reste et restera un moment clé des concerts des Boyz, et le strip d’Angus possède en germe les éléments adéquats pour animer un public, mais là encore, seuls les irréductibles du groupe ont réellement joué le jeu de la complicité. Les fans, du moins, ceux se présentant comme tels par effet de mode, semblant plus ou moins subir la chose. Moi, dans mon coin, j’ouvrais les yeux du plus qu’il m’était possible, au point de me faire péter les iris. Donc, quand je souligne cette idée d’un bateau sombrant dans une abyme, il convient de relativiser ce que beaucoup ont considéré (et le groupe en premier lieu) comme un concert raté ! A cet éventuel ratage, il faut surtout ajouter les paramètres d’une promo des plus bordéliques, d’un nouvel album en date non seulement mal perçu du public français dans sa majorité, mais également d’une presse journalistique ayant pris un malin plaisir à descendre cet opus.
En fait, ce qui m’avait surtout frappé c’était cette clameur de la foule à accueillir chaque morceau antérieur à 1983 comme un cadeau et toute proposition postérieure à cette date comme une corvée ! Preuve en est que le morceau Flick of the Switch n’a reçu que très peu d’enthousiasme de la foule au contraire d’un Hell’s Bells ayant eu le mérite de réveiller les morts et de relancer (une nouvelle fois !) un sauvetage du show. Et ce sauvetage s’est accentué avec The Jack, notamment lorsque le public chante ce refrain tout seul comme un grand. Bizarrement, ce sont uniquement les rangs du premier rang qui ont animé la chose ! A croire que les irréductibles étaient massés contre les barrières, s’étant délibérément isolés d’une foule s’étant majoritairement rendue à ce show tel un gratin voulant se montrer aux yeux du tout Paris et non pour assister à un concert de rock !
Lorsque Dirty Deeds Done Dirt Cheap est arrivé, je n’en croyais pas mes oreilles ! Je ne pensais pas que ce morceau revivrait le feu de la scène un jour ou l’autre ! D’ailleurs, je n’étais pas le seul, et son tempo sensiblement accéléré donnait une nouvelle dimension au titre en question. S’en est suivi le grand classique du groupe qu’est Highway to Hell avec une semi foule tentant vainement de faire corps avec le groupe sur le refrain ! Certes, le Bercy de ce soir là contenait (uniquement !) quelques 3000 personnes, mais je vous jure que les Angus ponctuant l’intro de Whole lotta Rosie sonnaient bien fades ! On était loin d’une foule compacte, au contraire, ce qui se passait là, voyait des petits groupes ici et là scander Angus à la fin de chaque partie du mythique motif ! Moi qui m’attendais à entendre une ambiance digne d’un If you want blood, j’étais pour le moins dépité ! C’est surtout à aussi que AC/DC m’a donné cette sensation de vouloir en finir le plus vite possible avec ce gig ! Tempos ultra accélérés, morceaux enchaînés à la-va-vite ! Bref, Let there be rock, TNT et For those about to rock ont été expédiés à une vitesse grand V... et au revoir Paris !
Peut-on parler réellement d’un concert raté ? A vrai dire, j’en sais rien ! Sûr que ce soir là, de par tout un tas de paramètres, l’alchimie n’était pas au rendez-vous ! Sûr aussi que la majorité du public français a eu une attitude pitoyable ! Sûr aussi que les Boyz sauraient se souvenir d’un tel accueil digne d’un enterrement sur la banquise... pour preuve, ils auront soin d’éviter la France lors du Fly on the Wall Tour et ne reposeront leurs valises en France que 4 ans plus tard pour le Zénith du 06 avril 1988. (4)
En sortant, mon père discutait avec un allemand ayant vu le groupe sur la même tournée quelques temps auparavant. Le type parlait très bien français et sa question était sans appel : « Vous réservez toujours le même accueil à AC/DC lorsqu’ils viennent chez vous ? » No comment !
Dans la voiture, en repartant, j’avais des images plein la tête, des échos de riffs qui me cisaillaient le cerveau ! Mon père se plaisait à répéter « Nom de dieu, ça reste quand même une sacrée machine de guerre sur scène ! » Le lundi, au bahut, le type de ma classe est venu vers moi, dépité, il m’annonçait qu’au dernier moment, sa virée pour voir AC/DC avait été annulée. Voyant son état de tristesse, et ne voulant pas enfoncer davantage le couteau dans la plaie, je ne lui ai rien dit de mon voyage... du moins pas tout de suite !
(2) Quoique, vu le nombre restreint de spectateurs pour ce show et le nombre important de billets qui se vendaient pour trois fois rien juste avant le début du concert, on aurait très bien pu se pointer les mains dans les poches !
(3) Plus tard, j’ai appris que Mötley-Crüe devait faire la première partie d’AC/DC ce soir là, mais au dernier moment, sans que ceci ne soit réellement annoncé, un autre groupe a remplacé la bande à Vince Neil, et de toutes évidences, ce changement de dernière minute n’a pas non seulement ravi le public présent, mais également, par extension, arrangé les affaires d’AC/DC !
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